Chuburu Jean

Sainte-Engrâce

En 2010 j’ai reçu une demande de recherche qui m’a émue. Mon correspondant disait : « Je n’ai pratiquement pas connu mon père, je n’avais que 8 ans quand il est décédé car il s’était marié vers la soixantaine. C’était un homme taiseux qui ne parlait pas à ses enfants ; ma mère nous a raconté qu’il venait d’un village des Pyrénées : Sainte-Engrâce. Souvent avant de m’endormir, je pense à ce mot Sainte-Engrâce, verrai-je un jour ce village ? pourquoi est-il parti ? Mon rêve est de connaître l’histoire de mon père et de pouvoir la transmettre à mes trois fils qui portent le nom Chuburu venant de ce pays plein de merveilleux : Sainte- Engrâce ».

Jean Chuburu vers 50 ans 

En effet, Jean Chuburu est né le 18 janvier 1896 dans le village de Sainte-Engrâce perdu aux confins des Pyrénées qui le séparent de l’Espagne. C’est la Soule, Xiberoa, une des trois provinces basques françaises.

Difficile de décrire Sainte-Engrâce, ça monte, ça descend, ça tourne, rien n’est plat, rien n’est rectiligne mais on découvre des paysages à vous couper le souffle ; la pente des chemins qui sont devenus des chemins de randonnée est aussi propice à vous couper rapidement le souffle.

En un mot vivre dans les montagnes verdoyantes et apaisantes de Sainte-Engrâce doit être idéal mais … il faut y être né. Pourtant actuellement des retraités citadins s’y installent.

Jean a vu le jour dans la maison Bordalecu, fils d’Engrâce, 21 ans, et de père inconnu. Cette situation d’enfant dit naturel ne créait pas un problème car de nombreuses filles étaient mères célibataires et on n’abandonnait pas les bébés. Quatre ans plus tard, Engrâce, sa mère, s’est mariée avec l’héritier Costères de la maison Motolibar. Dans de nombreux cas l’enfant reste avec les grands-parents maternels.

Engrâce Chuburu vers 20 ans

Le sort de Jean fut plus surprenant il est allé vivre chez Laurent Barneix, muletier, domicilié à Licq-Atherey avec son épouse Pauline née Lecarots ; un couple d’une cinquantaine d’années sans enfant. Apparemment aucun lien de parenté mais d’après la famille ce serait le père de l’enfant. La rumeur remplaçait les tests génétiques.

Ce qui est certain c’est que dans le recensement de population de Licq Atherey en 1901, Jean Chuburu est répertorié avec le couple Barneix, il a 5 ans ans, il est mentionné « fils adoptif ». Même chose en 1911, pas de recensement en 1921 la guerre de 14-18 avait décimé la moitié de la population masculine active ; et Jean avait traversé l’Océan il était en Argentine.

Le départ

Dans les registres de l’agent d’émigration Vigné de Tardets, je viens de trouver que Jean Chuburu est parti le 7 septembre 1912, il n’avait pas accompli ses 17 ans, il est parti de Bordeaux sur le navire Chili en direction de Buenos Aires.

Jean Chuburu à 16 ans

Le 17 mai de la même année, décédait Pauline, l’épouse de Barneix. A ce moment-là, la famille Barneix habitait la maison Laouench ; Pauline n’ayant pas testé, son mari garde l’usufruit de la moitié de la maison et le reste va aux neveux et nièces de Pauline. Jean Chuburu qu’ils disaient « fils adoptif » n’est pas mentionné. Est-ce une des causes de l’émigration de Jean ?

Jean n’est pas parti comme un pauvre hère, Laurent Barneix l’a habillé comme un prince et il a pu aller chez un photographe de Bordeaux pour faire tirer son portrait à 17 ans.

En 1916, Laurent Barneix s’est éteint dans la maison Mouthela, certainement la vieille maison près de l’église de Licq qui a été détruite en 1954. Laurent est décédé à 74 ans, seul au monde, puisque personne n’est allé faire la déclaration aux services de l’Enregistrement (impôts) et que l’emplacement de la vieille maison reste au nom de Laurent Barneix mort il y a plus de cent ans.

La vie en Argentine

De son arrivée à Buenos Aires à son mariage à Loberia, on ne sait pas grand-chose de sa vie sinon qu’il était boulanger et qu’il avait réussi a avoir sa propre boulangerie. Vers la soixantaine il s’est marié avec une femme âgée de moins de trente ans : Margaria Aldarete et il a eu deux enfants un garçon, Juan, et une fille, Liliana. Son épouse est décédée l’an dernier à 81 ans, Jean est décédé vers en 1872 à 76 ans.

La visite en France

Lors d’un de mes voyages en Argentine, je suis allée à Loberia rencontrer les Chuburu. Juan travaillait comme mécanicien a la caserne des pompiers et son épouse Claudia était institutrice, leurs trois garçons avaient entre 11 et 16 ans. Jean m’avait promis que lorsque ses enfants auront fini leurs études, il viendra à Sainte-Engrâce. Effectivement en 2020, le couple a acheté les billets d’avion mais le Covid a fait reculer le voyage de deux ans et le dimanche 9 octobre 2022, sous un soleil radieux Jean et Claudia accompagnés d’un couple d’amis de Loberia faisaient leur entrée à Sainte-Engrâce.

La maison Bordalecu de Sainte-Engrâce

En 2010, j’avais réussi a trouver des parents proches Pierre et Louisette Chuburu de Licq Atherey.

Pierre Chuburu est le petit-fils de Dominique, le frère d’Engrâce.

Grâce au dynamisme de Louisette, à la gentillesse de Pierre et à leur générosité commune, les Argentins ont été magnifiquement bien reçus : nourris, logés et promenés. Ils ont goûté aux spécialités : pâtés, volailles, fromage, jambon, piperade et gâteau basque ; tout « casero » fait maison, sauf le Porto qui fut malgré tout bien apprécié. J’étais là pour traduire mais tout le monde se comprenait avec des gestes, des sourires et le langage du cœur.

Le repas terminé, nous voilà à la maison Bordalecu, puis à l’église, au cimetière faisant le tour des tombes de la famille et pour clôturer cette première journée : la maison Motolibar où Engrâce s’est mariée mais où Jean n’a jamais vécu. Il avait gardé des liens avec sa mère, on lui avait annoncé le décès d’un des frères Costères tué accidentellement lors d’une explosion à la dynamite en creusant la montagne.

Gachou (née Barantol), Juan Chuburu, Julien Barantol et Pierre Chuburu

Julien Barantol et sa sœur Gachou, venue de Pau, sont les petits-fils d’Engrâce et Juan est aussi le petit-fils d’Engrâce ; avec la différence que les premiers l’ont connue mais que Juan ne soupçonnait même pas son existence. Les liens du sang devaient parler car c’était vraiment une réunion de famille où Juan avait du mal à maîtriser son émotion. Sur la grande terrasse face aux montagnes baignée d’un soleil couchant, tout le monde racontait, scrutait les photos des albums… et on s’invitait, on promettait et on mangeait (encore) tiramisu, gâteau.

Champagne pour sceller ce beau jour !

Dominique Chuburu à 82 ans, frère d’Engrâce et grand-père de Pierre

En regardant des photos, Pierre Chuburu me raconte que son grand-père Dominique, le frère d’Engrâce, avait une voix exceptionnelle et que dans les pastorales il avait le rôle principal, Pierre et son père chantaient aussi très bien mais celle que tout le monde connaissait c’était Marianne, la fille aînée d Engrâce, mère de Julien et Gachou, quand elle chantait dans l’église du village l’émotion montait chez les paroissiens.

Juan Chuburu ne chante pas, la voix n’a pas traversé l’Océan !

Christiane Bidot-Naude

2 réflexions sur « Chuburu Jean »

  1. Gracieuse LAU-BEGUE

    Merci pour ce magnifique compte rendu et vous êtes chère Christiane le fil conducteur de cette rencontre.
    Ce moment si cher restera gravé dans nos cœurs. Cette histoire est d’autant plus belle que notre cousin germain vit dans des terres lointaines et que nous ne connaissions pas son existence.

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  2. Colette Costére épouse Catel

    Je viens ajouter une branche àun arbre généalogique qui nous est commun. Je suis aussi trés émue par cette histoire étant moi-meme la petite fille d’Engrace CHuburu née le 17/12/1874 et de Pierre Costère né le 30/09/1869, la fille de Pierre Costére né le 22/01/1903 , la cousine germaine de Gracieuse et de Julien et donc de Juan Chuburu fils. Je suis née loin de Saint Engrace et je n’ai connu mes cousins que tardivement ( ce que je regrette beaucoup). Mon père a eu 5 enfants, 2 de mes frères sont malheureusement décédés mais nous sommes encore 3 :ma soeur, mon plus jeune frère et moi , petits enfants d’Engrace Chuburu (1874) et de Pierre Costère (1869) .
    J »ai vu avec beaucoup d’émotion la photographie de cette grand mère que je n’ai jamais connue d’autant qu’une des filles de mon frères ainé décédé lui ressemble énormément.
    Mon pére nous parlait beaucoup de Saint Engrace , mais il est décédé assez jeune (j’avais 15 ans ) donc j’ai toujours eu la nostalgie de ce pays basque que mon pére chérissait tant.

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