La fuite de Bernard Supervielle

Oloron

par Simone Gervereau– octobre 2014

Étant la dernière mémoire vivante de cette lointaine famille qui fut la nôtre, il me faut rétablir quelques vérités qui, au cours des générations, ont été, volontairement ou pas, occultées.

D’une voix à une autre s’installent l’omission, les ajouts et bien vite, la légende… La vérité, la voici, telle qu’elle m’a été maintes fois racontée par ma grand-mère Marie Domenge Supervielle, épouse de Ferdinand, 3ème fils de Romain qui, enfant, avait été tellement marqué par la disparition de son frère aîné.

Romain Supervielle

Romain Supervielle et Anne Etchehon s’étaient mariés le 3 mars 1847. Dans les cinq premières années de leur mariage, ils eurent quatre fils. Sept ans plus tard, ils eurent Achille, et encore cinq ans plus tard, Aglaë, la fille tant attendue et qui fit l’adoration de sa mère.

Anne Etchehon Supervielle élevait ses fils avec rigueur et sévérité. Quand mon grand – père Ferdinand qui faisait son service militaire dans la cavalerie à Moulins (après la guerre de 1870, le service durait 7 ans !) obtint, après 18 mois, l’autorisation de son Colonel d’aller passer quelques jours dans sa famille, par retour du courrier, sa mère lui répondit : « Comment, tu viens à peine de partir, et tu parles déjà de revenir ? » Ferdinand qui ressemblait beaucoup à son père dont il avait la blondeur, les yeux très bleus, la douceur du caractère, et un certain bonheur de vivre, avait reçu cette lettre comme une blessure au cœur…

Bernard, l’aîné de la fratrie, ne s’entendait pas avec sa mère, probablement deux caractères forts qui s’opposaient. Un jour, sa mère exigea qu’il porte un vêtement qui ne lui convenait pas ; l’adolescent révolté, et rêvant d’aventure – il n’avait pas 15 ans ! – décida de quitter sa famille pour aller tenter sa chance vers cette Amérique du Sud où tant de basques et de gascons s’exilaient dans l’espoir de faire fortune.

Anne Etchehon

Un soir, à l’heure du dîner, il ne rentra pas à la maison ; on le chercha, mais la nuit venue, il n’était toujours pas revenu… Le lendemain, on retrouva sur la berge du gave, à un endroit où il avait l’habitude de se baigner, ses vêtements et ses chaussures.

Avait-il eu un malaise ? S’était-il noyé ? Les nageurs de la ville, des environs, sillonnèrent le Gave… vainement. Son corps était-il resté accroché au fond d’un trou ? Avait-il été emporté par le courant ? Les moyens de communication, à cette époque, étaient difficiles. Le Gave traversait des terres peu habitées… La petite ville s’associa à l’épreuve de la famille, cette famille Supervielle, si connue à Oloron et estimée de tous.

Romain, horloger bijoutier, faisait également le change de monnaie. Il y avait toujours eu un commerce important entre Oloron et l’Espagne, si proche par la vallée d’Aspe et la montagne. Un grand coffre-fort contenait les bijoux, les montres en or de l’époque, l’argenterie et les rouleaux de papier enserrant les pièces d’or, les « Napoléons » et les pièces espagnoles. Chaque rouleau enserrait 20 pièces d’or.

Un jour que Romain échangeait de la monnaie avec ses rouleaux pris dans le fond du coffre, il s’aperçut que le rouleau ne contenait pas 20 pièces, mais seulement 19. Intrigué, il ouvrit un second rouleau, puis un troisième, un quatrième…, chacun ne contenait que 19 pièces !!! Romain qui, au fond de lui- même, n’avait jamais voulu croire à la mort de son fils, dont on n’avait pas retrouvé le corps, comprit : Bernard s’était enfui et, connaissant la combinaison du coffre, avait pris dans chaque rouleau un « Louis » pour faciliter son départ vers les pays lointains.

Après avoir laissé ses vêtements sur la rive du gave, il s’était caché, puis, la nuit venue, avait marché, marché, marché…. Comment avait-il gagné Bordeaux où les grands bateaux, partant pour l’Amérique du Sud, étaient amarrés ?

Bernard était vivant, mais où était-il ? Brésil ? Argentine ? Uruguay ? Cuba ? Et les années passèrent… Un jour, un ami de Romain, qui revenait d’Uruguay, lui dit : « Bernard est à Montevideo, je l’ai reconnu, je suis sûr que c’était lui. J’ai voulu le rattraper, mais il a disparu dans la foule et c’était le moment où je me ré-embarquais pour la France »

Son frère Auguste partit pour l’Uruguay afin de le retrouver ; mais à l’escale de Rio de Janeiro, il fut emporté par l’épidémie de choléra qui sévissait dans la ville. Enfin, Bernard fut retrouvé. Repentant, il écrivit une lettre à ses parents, leur demandant pardon pour tout le mal qu’il leur avait fait. Il voulait les revoir, retrouver sa famille car, maintenant, il pouvait rendre tous les « Louis » d’or qu’il avait « empruntés ».

Bernard Xavier, Marianne Munyo et leurs enfants

L’émigrant ne vient jamais à bout de son voyage. Il n’a pas la capacité de s’enraciner à nouveau. Fondera-t-il une famille dans la terre qui l’accueille, un jour, si ce n’est lui, un de ses enfants, ou petit-enfant, où arrière petit-enfant, éprouvera encore une fois le désir de se mettre encore en marche : de génération en génération, le goût du départ perdure dans le sang des siens. L’exil – exception faite de l’exil forcé – est un état héréditaire qui se fabrique des justifications : Travail, Fortune, Liberté… L’aventureux Bernard a laissé un long héritage !!! 

Un long héritage et une belle descendance qui a eu la merveilleuse idée de se réunir en organisant deux « cousinades ». Une à Oloron en aout 2014 et l’autre en Uruguay en novembre 2015.

Un journal local a publié l’article ci-dessous en 2014 et voici ce que dit Mercedes pour celle de 2015.

« Lors de la cousinade de novembre 2015 en Uruguay où nous avons réuni 85 cousins dont 13 venus de France, d’autres d’Argentine et bien sur beaucoup d’Uruguay, j’ai donné à chaque famille, un dossier avec ces souvenirs et toute la généalogie que Jean Masounabe (de l’AME) et moi-même avons complété (sur Geneanet et My Heritage) et j’ai rajouté les bateaux qu’avait pris Bernard et Victor Jules, plus tard, ainsi que des photos de Romain et d’autres membres de la famille. Un travail de titan pour préparer tous ces documents, les imprimer, etc. Je pense que je n’aurais plus l’énergie maintenant. »

Les descendants de la famille Supervielle se réunissent à Oloron

Samedi, une quarantaine de descendants du grand-père du poète oloronais Jules Supervielle se sont rassemblés pour la première fois de l’histoire de leur famille, à Oloron.

Au centre : Mercedes Supervielle (en jean) et à sa gauche Simone Gervereau (cheveux blancs)

À Oloron, on connaît évidemment l’histoire du poète Jules Supervielle (1884, Montevideo, 1960, Oloron Sainte-Marie). Samedi, à l’occasion de la première cousinade des descendants Supervielle, on a aussi pu découvrir une véritable saga familiale. Un événement organisé à quelques années du centenaire de la naissance du grand-père du Poète, Romain Supervielle, horloger à Oloron.

Romain Supervielle naquit à Oloron en 1817. De son union avec Anne Etchehon, originaire du Pays Basque, naîtront six enfants, dont quatre auront une descendance. Celle-là même qui est parvenue à se réunir ce samedi dans la capitale du Haut-Béarn. L’aîné, Bernard Xavier Supervielle, né en 1848, part à 17 ans faire fortune en Amérique du Sud. Sa destination est le Brésil, mais l’épidémie de choléra qui sévit dans le pays le pousse à débarquer finalement à Montévidéo, en Uruguay, l’autre berceau des Supervielle.

Auguste, né un an plus tard, partira à la recherche de son frère, dont la famille en Béarn est sans nouvelle depuis son départ. Cruelle ironie de l’histoire, c’est lui qui succombera au choléra. Un autre frère n’aura pas descendance, et pour cause : Achille deviendra prêtre. Avec Bernard Xavier, trois autres enfants du couple Supervielle-Etchehon auront une descendance. Ferdinand, horloger bijoutier, Victor-Jules (le père du poète, qui ralliera l’Uruguay avec son épouse basque pour rejoindre son frère) et Aglaé.

L’idée de rassembler les descendants de ces quatre branches de la famille est née d’une discussion entre cousins qui a fait boule de neige. « Je me suis mise à chercher les descendants de notre branche, celle de Ferdinand, témoigne Françoise Labrador-Hourcade. Lorsque j’y suis parvenue, il était assez logique de continuer avec les autres branches. Vous n’imaginez pas le nombre d’échanges qu’il a fallu avec L’Amérique latine pour aboutir ! »

Première « cousinade »

Le résultat a été affiché samedi dans les salons de l’Alysson. Un arbre généalogique de six mètres de long où figurent les 420 descendants directs de Romain Supervielle. Une quarantaine d’entre eux, dont la branche uruguayenne, a participé à ces premières agapes familiales. La présidente des Amis de Jules Supervielle, Hélène Clairefond, et Sabine Dewulf, spécialiste de l’œuvre du « prince des poètes » étaient également conviées. La prochaine « cousinade » pourrait se dérouler en Amérique latine.

Texte et photos transmis par Mercedes Supervielle.

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